"Comme le fleuve d’Héraclite…
Assis sur ma chaise, je l’entends. Je la sens. Elle est déjà là. Elle est sortie du néant sur la pointe des pieds, a rampé vers moi, a déjà empli l’espace et le temps. D’emblée, elle les englobe, elle les gouverne. Déjà, elle s’est emparée de mon corps et de mon esprit tout entiers. Elle les fait vibrer avec subtilité, jusque dans leur cocon le plus intime, jusque dans leurs tréfonds les plus obscurs et inconnus. Je le sais déjà : le commencement n’a pas d’importance. Seul compte le devenir. Toujours et partout, il s’écoule, permanent dans sa métamorphose comme le fleuve d’Héraclite. Et rien n’existe en dehors de ce mouvement.
Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je vois défiler en moi les formes, les couleurs, les matières, les textures. Elles se détachent imperceptiblement d’un fond qui semblait immuable, émergent lentement, interagissent et s’entrecroisent, puis disparaissent aussi subtilement qu’elles étaient apparues, effacées, comme noyées dans la totalité sonore. Déjà, elles ont glissé dans l’oubli, mais laissent en moi comme une empreinte en filigrane, un léger manque, témoin de leur passage.
Parfois, je crois reconnaître ces figures sonores. Je distingue soudain le clapotis sourd et rassurant de gouttes de pluie tombant sur la surface d’un étang. Je perçois le battement insolite et entêtant d’un tambour d’eau, le hurlement mélancolique d’une sirène, le crissement d’une plaque de métal. Des images plus nettes se forment dans mon esprit, des paysages concrets se matérialisent et me transportent dans un ailleurs. Mais ces sensations déjà s’altèrent, se déforment. Le décor se brouille, devient méconnaissable. L’impression familière a glissé dans l’étrange. N’était-elle qu’un mirage ?
Tantôt longs, planants et contemplatifs, tantôt marqués d’une interminable pulsation rythmique presque tribale, tantôt sombres, désagréables, oppressants, voire ouvertement menaçants, les tableaux, les ambiances, les environnements se succèdent sans qu’aucune frontière soit jamais perceptible. C’est que, tour à tour peintre, sculpteur, architecte, metteur en scène, poète, prophète ou philosophe, Pierre-Emmanuel Maréchal façonne le ressenti et l’émotion dans le même mouvement que l’univers du timbre, en discret démiurge caché derrière ses machines.
Emporté d’un paysage à l’autre sans quitter ma chaise, confronté à l’éternelle mouvance, je m’y abandonne de bon gré. Je la laisse m’entraîner au-delà de moi-même, au-delà des contingences du monde quotidien. Elle me saisit. Elle s’empare de mon être tout entier. De mon identité profonde. Il n’y a plus qu’elle. Elle. L’expérience de l’infini."
Antoine Danhier
credits
released July 7, 2023
Composé et interprété par Pierre-Emmanuel Maréchal
Mastering: Pierre Bartholomé (Green Field Studio, Belgique)
Photgraphie: "Cocoon" par Ioana Tamas
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